France Frascarolo-Moutinot, psychologue, ancienne directrice de l’Unité de recherche du Centre d’étude de la famille, au CHUV, à Lausanne.
Deux semaines de congé paternité, c’est bien, trop peu, nécessaire?
C’est nécessaire et trop peu! Un mois serait un minimum, mais c’est mieux que rien et on peut espérer l’augmenter par la suite... Le congé paternité, c’est une reconnaissance sociétale de l’importance du rôle du père.
Quelle est la place du père dans les premiers instants de vie?
La question du père, c’est la place qu’on veut bien lui donner ou qu’il veut bien prendre. Dans l’Histoire, les pères n’ont pas toujours été absents. La révolution industrielle les a éloignés des enfants, et l’apogée du père absent se situe après la Deuxième Guerre mondiale. Toutes les théories psychologiques sont parties de cette réalité sociale pour définir le primat de la mère. Mais depuis, on s’est rendu compte que le père aussi a son importance, et que la qualité de la relation entre les parents est essentielle.
Justement, quel rôle joue-t-il dans le développement de l’enfant?
Une bonne relation père-enfant favorise la socialisation de celui-ci, elle encourage son développement moteur, dans le sens où le père fait d’autres jeux que la mère. C’est aussi l’ouverture sur le monde et le développement du langage: le père est plus exigeant, il se contente moins de ce qu’il comprend vaguement et va utiliser un vocabulaire plus riche pour s’adresser à l’enfant. C’est une invitation au dépassement, qui va pousser le tout-petit à sortir de sa zone de confort. Une autre raison de favoriser cette relation dès le début, c’est que, contrairement à ce que l’on pense, elle prévient l’inceste et le désengagement du père en cas de divorce.
Un père présent, c’est aussi un bénéfice pour la mère…
Oui, des travaux ont montré l’importance de la relation co-parentale, le travail d’équipe des parents, le soutien mutuel qu’ils s’accordent pour l’éducation des enfants. Cette relation, qui se construit très tôt et même avant la naissance, a un impact sur le développement de l’enfant, indépendamment de la qualité de la relation conjugale. Un couple co-parental conflictuel, non soutenant, peut être délétère et entraîner des troubles dépressifs ou comportementaux chez l’enfant. De nos jours, les parents n’ont souvent pas d’expérience des bébés, les mères sont parfois très seules. La dépression post-natale touche 10% des pères et de 15 à 30% des mères suivant le milieu socio-culturel. Si les parents peuvent s’entraider à être et devenir parent, c’est un système gagnant-gagnant.
Est-ce que le père et la mère sont interchangeables?
Ils ne le sont pas. Un père qui interagit avec son enfant le fait comme un homme et une mère comme une femme. Ce sont deux personnes différentes qui arrivent avec leur vécu. À trois-quatre semaines, le bébé n’aura pas le même comportement si c’est son papa ou sa maman qui se penche sur lui. Il les reconnaît à leur style de communication et il distingue leur voix dès la naissance. D’où l’importance de former une équipe coopérative, et non compétitive, dès le début. Ce qui est mis en place dans la première année de vie est capital pour la construction de la famille et pour chacun des deux parents. L’essentiel est que la répartition des tâches éducatives convienne aux deux parents. Notons que de plus en plus de pères souhaitent s’investir davantage auprès de leurs enfants et ne plus travailler à 100%.
Quelle est la bonne formule finalement?
Un congé paternité plus long et un travail à temps partiel ensuite. Dans l’idéal, il faudrait un personnel soignant qui invite et reçoive le père, qui considère les parents comme une équipe de partenaires égaux et qui leur montre les compétences du bébé. Je ne cesse de le répéter: le meilleur jouet du bébé, dès les premières semaines, ce sont ses parents.