Cette année, les Suissesses soufflent les cinquante bougies de leur droit de vote au niveau fédéral. L’occasion de faire le bilan de cette avancée majeure et de jeter un œil sur la situation actuelle. «Si ce droit a permis d’apporter certains changements, sur le plan de l’égalité, il y a encore beaucoup à faire», affirme ainsi Pauline Milani, enseignante spécialisée dans l’histoire des femmes et du genre à l’Université de Fribourg. «Je suis très contente qu’on célèbre le droit de vote des femmes, mais il ne faut pas oublier que jusqu’à la réforme du droit du mariage, qui date seulement de 1985, vous perdiez la plupart de vos droits si vous vous mariez. Il y a donc énormément d’acquis, mais en même temps, les discriminations salariales, par exemple, ont peu évolué en quinze ou vingt ans», souligne-t-elle, en notant toutefois l’importance de «montrer à la jeune génération que ça vaut la peine de lutter». «J’aime faire remarquer à mes étudiantes que le droit de vote n’a pas été accordé aux femmes parce que les hommes étaient sympas. Il a fallu plus de septante ans de lutte acharnée avant de l’obtenir. Alors il n’y a pas le choix: on est et on sera toujours obligées de se battre.»
La spécialiste constate d’ailleurs un «renouveau du féminisme depuis 2010», qui se distingue de deux manières. Tout d’abord, «il s’inscrit dans une dynamique qui dépasse largement les frontières suisses. Dans le monde entier, il y a ainsi des mouvements de masse qui apparaissent, par exemple ‹Ni una menos› au Mexique en 2015, des mouvements extrêmement importants en Inde en 2012 suite au viol atroce d’une étudiante, les Women’s Marches aux États-Unis lorsque Trump a été élu, et bien sûr le mouvement MeToo qui apparaît en automne 2017.» Par ailleurs, tous ces mouvements ont des caractéristiques communes: «Avant, on luttait pour changer les lois, tandis qu’on se bat dorénavant pour l’intégrité physique des femmes, explique-t-elle. Le féminisme des années septante avait déjà créé une vraie rupture épistémologique, avec les débats sur la contraception et l’avortement. Mais la question de l’intime en avait été un peu évacuée. Tandis que là, il y a un retour sur la question du corps en tant que tel: les viols, le harcèlement, les violences conjugales sont majoritairement subis par les femmes. Ce sont aussi elles qui assument une grande partie du travail non salarié, et doivent subir des discriminations salariales. Du coup, la réflexion en revient à ce qu’on a fait de ce corps féminin, pour refuser d’en faire le lieu de la domination patriarcale.»